la sortie Bonaguil entre nous

Le 13 juin 2014 : Fin de saison.

Comme vous le savez tous, nous avons passé une journée ensemble entre les mains de nos très chers tourtereaux Geneviève et Christian Carles, voilà se qu'ils nous ont concocter: 

C'était le plan de Mathilde : au tour des Fumélois de recevoir comme il se devait nos amis mosaïstes de Villeneuve, Moissac, Valence...En un tour de main le projet a pris forme, une forme un peu originale à l'image de nos groupes de passionnés, prêts à se laisser embarquer dans l'aventure quelle qu'elle soit...

Et l'aventure a eu lieu, tout d'abord au château de Bonaguil où je me suis vue investie du rôle de guide ! Quelles émotions ! Quel stress ! Mais en situation les choses sont bien différentes, n'est-ce pas, que celles que l'on a imaginées dans les pires scénarios ?Bref, entourée de visages tous plus souriants les uns que les autres, je me suis sentie immédiatement à l'aise et j'ai pu donner MA vision du château de Bonaguil loin des sentiers battus. Un régal pour moi. Merci, les amis, pour votre belle confiance.

Et puis nous nous sommes retrouvés à Buffo Bent, sous le catalpa géant et le tilleul pour découvrir quelques principes majeurs de la diététique selon l'ayurvéda. Là, c'était Christian qui expliquait avec toute sa conviction. Et nous avons pu partager un repas simple avec des variantes grâce aux épices et aux plantes aromatiques...Un jeu sérieux dans la bonne humeur...

En cuisine, une flopée de petites mains pour laver les saladiers et les essuyer au fur et à mesure !

Tant et si bien que lorsque vous êtes tous partis, Christian et moi-même n'avons eu qu'à repasser le film de la journée pour nous réjouir de ces belles rencontres enrichissantes.

Oui, les ateliers de Mathilde, ce sont bien plus que des ateliers, ce sont des lieux de vie où l'on peut mettre en pratique cette belle phrase de Simone Weil «  L'amitié ne se recherche pas, ne se rêve pas, ne se désire pas ; elle s'exerce ».

Geneviève

Maître compagnon

(Hommage à L.V.)

 

« Dans les intervalles s'élevaient de belles tourelles percées de maintes archères bien conçues pour se fermer étroitement, et Gawain n'avait jamais vu meilleure barbacane. En s'approchant, il vit le château se dresser très haut parmi ses tours nombreuses, dont les clochetons pointaient vers le ciel leurs fleurons habilement ciselés. Sur les toits, le regard distinguait maintes cheminées qui brillaient, toutes blanches au soleil comme falaises de craie. Et il y avait tant et tant de pinacles aux joyeuses couleurs, étagés les uns sur les autres et surgissant de partout au-dessus des courtines qu'on aurait dit un château découpé dans du papier. »

 

« Mes petits, ça, c'est la version littéraire du château médiéval. Sire Gawain et le chevalier vert, c'est la version IDÉALISÉE. Mais pour être idéalisées, les choses doivent être bâties sur des bases solides, des fondations solides, entourées de palissades dissuasives... »

Le ton était donné, le discours, élevé, et je n'ai pas tout compris, d'abord. C'est juste l'intonation de cette voix puissante qui m'a mis en alerte, d'emblée. C'est juste quelque éclat dans le regard qui a capté mon attention et l'a éveillée, dans l'instant.

L'année de sixième m'avait fait découvrir un internat morne, un règlement tatillon, et l'horizon était bien terne. Depuis les hauteurs du lycée Edmond Perrier, la ville de Tulle apparaissait comme noyée dans les brumes; la bruine argentait les toits d'ardoise qui luisaient comme des truites. C'était l'image même de la mélancolie.

Et soudain cette image d'Épinal avait surgi.

Mais la voix avait poursuivi: « un fossé... Un mur d'enceinte... des palissades de bois... C'est ce qu'il convient de construire sur ce tracé... »

Ainsi va s'amorcer jeudi matin après jeudi matin, l'élaboration d'une maquette au plus juste de la réalité historique. Chaque détail a son importance, chaque chose porte un nom technique et bizarre qu'il nous est ordonné de retenir. J'entre dans un jeu sérieux sans en mesurer encore toutes les répercussions.

La porte fortifiée érigée de biais pour que le bélier peine à la forcer de front, la voûte d'entrée...

Je découvrais la stratégie dans toute sa subtilité, la ruse de l'homme, son instinct de survie et, pour me défaire du spectre de l'attaque barbare, je m'appliquais à façonner de minuscules gonds de porte inversés. Cette porte solide, c'était autant de temps gagné sur l'ennemi.

Les tours d'angle rondes, les créneaux à mâchicoulis, les grilles de fer qui protègent les fenêtres de l'étage inférieur, le pont-levis qui défend l'entrée...

Une jubilation s'est alors emparée de moi: ce château, mon château, serait la forteresse imprenable qui dominerait de toute éternité.

Alors la voix m'a mis en garde : « Des portes, poternes et ouvrages avancés doivent ménager des accès à l'extérieur pour les sorties et le ravitaillement sans trop compromettre la sécurité. Non, mon petit, non, le château n'est pas un vase clos. Non, mon petit, non, une retraite qui n'est qu'une retraite est déjà une capitulation! »

 

J'attendais mes jeudis. Juste avant la fin de la séance, pendant laquelle, fébriles et minutieux, nous bâtissions la forteresse, la voix disait: « Sortez vos cahiers » et nous devions répondre à dix questions simples pour mériter le titre de compagnon du château fort.

Galerie en encorbellement au sommet d'une muraille? Il fallait répondre mâchicoulis...

Elément encastré en saillie sur un mur pour supporter une poutre? Il fallait répondre corbeau...

Mur d'un rempart joignant les flancs de deux bastions voisins? Il fallait répondre courtine...

Grille coulissant verticalement? Il fallait répondre herse...

Et quand nous maîtriserions mieux le savoir, ce sont les définitions de « pinacle » ou de « bretèche » qu'il nous faudrait donner.

Si la note était bonne, j'en tirais un titre de gloire et j'aimais de plus en plus ce château qui donnait à mon statut ingrat d'interne, tout le sens d'un enfermement librement consenti.

D'ailleurs, d'une semaine à l'autre, nous revisitions le bastion, nous déambulions, montions de degrés, descendions des marches abruptes. Curieusement je me sentais libre car la voix insistait sur la notion de passage, de passerelle et tout l'accent tonique portait sur les verbes. « On traverse les douves sur un pont-levis... Un second pont-levis donne accès au premier étage... débouche sur... communique avec... Une porte décalée s'ouvre... L'escalier royal conduit à l'étage supérieur... Les cuisines communiquent directement avec l'extérieur... Un petit escalier à vis dessert les quatre étages du donjon... » Dans cette dynamique, que de possibilités d'exploration, de découvertes, d'échappatoires et d'évasions!

Bientôt, nous devions découvrir que ce château abritait une multitude de gens, c'était une ville en miniature. Du serviteur au seigneur en passant par les cuisiniers, les écuyers, les cavaliers, le connétable. Et puis on y accueillait avec tous les rites de la plus grande courtoisie, hôtes de passage, pèlerins et troubadours! Pourtant, dans son souci de nous apprendre la vie - car au fond, n'était-ce pas cela l'enjeu véritable? - la voix ne nous épargnait aucun savoir sur les raffinements de cruauté que l'âme humaine et diabolique est capable de concevoir pour trouver la jouissance dans la souffrance infligée à l'autre. Les oubliettes me faisaient frémir et l'huile bouillante déversée sur les assaillants juchés sur leurs échelles, produisait le même effet de terreur imaginative.

 

La voix poursuit : « Au centre de la cour du seigneur, sera creusé un puits profond, car l'eau, c'est la vie ».

Tout est en place, tout est en ordre dans ma tête. Je me sens fort de cette ingéniosité et de ces savoir-faire, je me sens protégé. Mais nous avons grandi, les jeudis de juin arrivent et la forteresse n'a jamais autant brillé de son orgueil et les jaloux pâlissent.

Mais la voix a encore à se faire entendre. « Mes petits, n'oubliez jamais que de l'extérieur on peut empoisonner la source et de toute manière, un château attaqué sera toujours perdant! »

Illusions envolées, belle leçon de vie qui nous révélait la fragilité et l'éphémère à l'instant de la puissance au grand jour.

 

La nouvelle s'est répandue dans les journaux locaux du Limousin et du Périgord, ce jour de décembre 2009.

On rendait hommage à la voix, à l'homme, au maître qui avait enseigné l'histoire comme on embrase Bonaguil pour les touristes un certain vendredi de juillet.

Les Anciens éprouvèrent le besoin de se retrouver pour confronter leurs souvenirs. Et tous se sentaient pétris de la même farine. Et tous interrogeaient leur vie pour y trouver la trace du marteau du Maître compagnon. Dans leur métier, dans leurs loisirs, ils traînaient l'empreinte.

 

L'amateur de bande dessinée avait à sa mémoire cette image accrochée du château merveilleux auquel les hautes girouettes dorées donnent une silhouette féerique.

Le bridgeur acharné s'est souvenu: « Anticipez, anticipez l'action de l'autre, prenez des risques mesurés. »

Le ravaleur de façade avait une obsession qui lui venait du jour où il avait entendu que Henry III devait ordonner que les gargouilles fussent prolongées afin d'éviter que les coulées d'eau de pluie ne souillent la blancheur des murs.

Le guide touristique répète à l'envi aux Anglais ébahis qu'au Moyen-âge, en Aquitaine, il existait un château tous les douze kilomètres.

L'architecte a rapporté: « Mes petits, songez toujours à la cohésion de composition et de volume! »

Et moi, moi, chaque été, je hante les fêtes médiévales. Je troque mon costume de chef d'entreprise pour un collant bipartite jaune et vert, je prends ma vielle et je chante la lauzeta de Bernard de Ventadour.

 

Mon professeur d'histoire vient de mourir à l'âge de 105 ans, moi, j'en ai 65, je me revois tout gosse et je me sens orphelin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Françoise Chatain (mercredi, 09 juillet 2014 13:06)

    Merci à vous Geneviève et Christian!
    Ce n'était pas seulement 1 journée de détente entre nous et très instructive:il y a eu de la complicité,de l émotion et de la sensibilité qui nous a reliés face à l 'Histoire!Vous étiez notre trait d'union!
    Que de simplicité et de bienveillance!Et l'Ayurvéda est 1mine d"or!
    Merci à toi Mathilde pour ta joie de vivre et d'etre notre locomotive!
    Plein de bises